
Surpêche : guide de survie du consommateur en eau trouble
À l’occasion de l’initiative Tata Thon qui vise à sensibiliser à la problématique de la surpêche, l’équipe de la Swiss Food Academy propose, 4 ans après, de se repencher sur le sujet. L’article qui suit détaille ce sujet complexe. Une synthèse fournie, mais une synthèse tout de même, afin d’avoir assez vite de quoi s’armer pour s’en sortir en tant que consommateur.
Vidéo de Swiss Food Academy pour l’initiative Tata Thon (2021)
Tout le monde ou presque à déjà entendu parler de la surpêche et des pratiques de pillage à grande échelle qui vident nos océans et mers de ses poissons (1,2). Toutefois, bien peu d’être nous serait capable de parler du sujet en définissant les contours nets et clairs. Et puis, en tant que consommateur, que fait-on ? Doit-on arrêter de consommer du poisson et autres produits de la mer ? Comment s’y retrouver ? C’est à ces épineuses questions que cet article va tenter de répondre.
Qu’est-ce que la surpêche exactement ?
Contrairement à ce que son nom laisse penser, la surpêche ne veut pas seulement dire qu’on prend trop de poissons, de crabes ou de coquillages en pêchant(3). Il est bien question de quantité, mais pas uniquement.
La surpêche ce n’est donc pas juste, pêcher plus de poisson qu’il n’en naît (cycle des naissances). Du point de vue de l’argent, cela veut aussi dire que l’on dépense plus d’énergie que ce que la pêche rapporte. Autrement dit, c’est faire un travail qui demandera plus d’argent (et de temps), pour être fait qu’il n’en rapporte.
Concrètement, cela peut se traduire par le fait d’essayer de remplir son bateau comme avant, alors qu’il y a de moins en moins de poissons. La diminution de poisson peut ne pas être due à l’activité qu’est la pêche, pour autant continuer de pêcher sans prendre en compte ce fait, c’est de la surpêche, même si le bateau est petit et que la quantité pêchée est faible. En somme, la surpêche est mauvaise pour l’environnement, pour les animaux marins, mais aussi pour la survie économique des marins. Enfin, même quand on essaie de respecter le renouvellement de la population de poisson, la pratique tend à vider les eaux des plus gros et plus vieux poissons. (3).
Aujourd’hui, on estime que la pêche industrielle est à l’origine de la moitié de la surpêche, et qu’elle oblige les plus petits pêcheurs à aller dans des zones déjà très utilisées. A titre informatif, les petites pêcheries représentent 98% des pêcheurs dans le monde et donnent la moitié du poisson que l’on mange sur Terre.
Des techniques de pêches problématiques
Certaines façons de pêcher, posent plus de problèmes que d’autres. Elles font que les filets des pêcheurs attrapent des animaux non souhaités (dauphins, requins, etc). Ceux-ci meurent « par erreur » étouffés, parce qu’ils sont pris dans les filets par accident. Ces mêmes méthodes abîment beaucoup le fond des mers, notamment le chalutage qui utilise de très grands filets lestés, qui traînent sur le fond des mers et emportent tout sur leurs passages (5).
Il existe aussi la pêche électrique (4,6), une invention hollandaise qui consiste au départ à faire traîner sur le sol un filet libérant des décharges électriques. Son but, faire sursauter les poissons enfouis dans le sable pour les attraper. La pratique a été interdite par l’Union Européenne 1998. Après coup, et sous pression de certains lobbys, une exception a été faite pour les pêcheurs néerlandais qui travaillent dans la zone sud de la Mer du Nord. Aujourd’hui encore des associations et corpus scientifiques luttent pour faire interdire complètement la pratique.
Vidéo du média Brut (2017), expliquant le principe et l’histoire de la pêche électrique.
Une autre pratique encore, cette fois totalement illégale, est la pêche à la bombe (7). Souvent pratiquée avec de simples bâtons de dynamite, elle consiste tout simplement comme son nom l’indique, à jeter un engin à l’eau qui va exploser une fois sous la surface. Ses effets sont de tuer directement toutes les créatures aquatiques qui y vivent. Une fois tués, les poissons remontent à la surface le ventre en l’air. Il n’y a plus alors qu’à ramasser. Au passage cette méthode saccage les fonds marins, tuant coraux, mollusques et autres organismes, brisant les rochers et la structure même des fonds océaniques.
Quoi faire quand on est petit consommateur ?
Quels labels privilégier ?
L’un des premiers labels auxquels le consommateur peut se référer, bien qu’il ne concerne pas spécifiquement la pêche (il s’applique uniquement aux poissons d’élevage et aux ingrédients ajoutés dans les préparations), est le label Bio européen. En effet, ce label s’applique aussi aux produits de la mer issus de l’aquaculture, même si sa présence sur les emballages reste rare. Pour le reste, il existe aujourd’hui une vingtaine de labels. Ici, trois grands labels susceptibles de guider le choix au moment de l’achat sont brièvement évoqués, dont deux que les consommateurs rencontrent très fréquemment.
MSC (Marine Stewardship Council)
Ce label (8) est sans doute le plus connu et se fait l’apôtre de la pêche durable. Il possède officiellement trois objectifs :
- Lutter contre la surpêche
- Réduire la fraude au niveau de l’emballage
- Prévenir la pêche illégale
Officiellement, ce label a été mis en place pour lutter contre ces trois fléaux, le but étant de faire perdurer l’activité de la pêche en protégeant l’environnement, en permettant aux populations de poisson de se renouveler et donnant un prix juste aux produits de la pêche et en faisant respecter les lois et empêcher les fraudes. Ce label dit avoir un processus de certification indépendant, qui s’adapte aux lois de chaque pays
ASC (Aquaculture Stewardship Council)
ASC (9,10) est un peu le pendant de MSC, mais pour les fermes aquacoles. Leur but, maximiser les bénéfices pour l’Humain, minimiser l’impact sur l’environnement, tout en produisant des produits de qualité. Il s’agit là aussi d’un label, qui officiellement possède une certification indépendante.
L’Ecolabel français Pêche durable
Plus proche de nous (11) et très français (puisqu’il s’agit d’un label créé par l’état), l’Ecolabel Pêche Durable. Ce label étatique, qui s’attarde aussi sur la traçabilité des produits de la mer, possède quatre axes de travail :
- L’écosystème : garantit que l’activité de pêche n’impacte pas de manière significative l’écosystème (la ressource ciblée, les espèces non-ciblées et l’habitat).
- L’environnement : garantit que l’activité de pêche a un impact limité sur l’environnement.
- Le social : garantit un niveau satisfaisant de conditions de vie et de travail à bord des navires pour les équipages.
- La qualité : garantit une bonne qualité pour les produits écolabellisés.
Ce label se base sur les engagements du Grenelle de l’environnement et du Grenelle de la mer. Il respecte aussi les lignes directrices de la FAO concernant l’éco-étiquetage des produits de la pêche. Il est encore peu utilisé pour des raisons techniques et sa naissance découlent de controverses liés au label MSC.
Conclusion
Parmi tous les labels cités, et bien qu’il repose sur un fond plutôt positif, le label MSC (le plus répandu) est au cœur de controverses(12) qui ne cessent d’enfler avec le temps (13,14). Actuellement, les organisations de protection de l’environnement soulignent que le label signe des contrats avec la grande distribution, ce qui semble difficilement compatible avec ses engagements initiaux. Aujourd’hui, on peut dire que ce label a du plomb dans l’aile et qu’il est lourdement décrédibilisé. Pourtant, il figure sur plus de 52 % des produits de pêche sauvage vendus en grande surface.
Pourquoi cette controverse ?
Parce qu’en plus de fournir la grande distribution en grands volumes – ce qui, là encore, n’est pas compatible avec la préservation des écosystèmes et des stocks de poissons – le label certifie certaines des méthodes de pêche légales les plus destructrices, notamment le chalutage.
Au vu de tout cela, les labels ont-ils encore de la valeur ? La réponse est nuancée. Le label MSC, désormais controversé, est sans doute à écarter. De nombreux acteurs du secteur et scientifiques estiment qu’il n’est plus synonyme de durabilité, puisqu’il certifie des méthodes de pêche destructrices et ne valorise pas réellement les produits de la mer. Il s’apparente aujourd’hui davantage à un outil marketing. De nombreuses voix appellent à faire évoluer les labels vers plus de durabilité et à limiter les failles exploitables par l’agro-industrie, mais cela reste lent et difficile. Enfin, un label traduit tout de même une volonté de faire un effort (15).
Des pistes à explorer
Les pistes à explorer pour la consommation de poisson restent sensiblement les mêmes que pour d’autres produits. Comme pour toutes les protéines d’origine animale, il est préférable d’en réduire la consommation. Cela implique que le changement provient, une fois de plus, de l’évolution de notre mode de vie et de nos pratiques alimentaires. Il s’agit toujours d’une question de dosage : consommer, oui, mais avec parcimonie, notamment pour ceux qui vivent loin des zones de pêche. Enfin, il est toujours plus simple de s’assurer des bonnes pratiques d’une pêcherie lorsqu’on en connaît les acteurs, pour ceux qui le peuvent.
Faire plus local
Si tous ces grands labels et la provenance lointaine peuvent susciter le doute et désorienter les consommateurs, il est aussi possible de se tourner vers d’autres certifications. En effet, les IGP et les AOP constituent également des garanties, mais elles ne concernent que des zones spécifiques et certains produits. Cela reste toutefois souvent un gage de qualité.
On peut aussi s’intéresser aux pêcheries proches, locales et souvent de plus petite taille. L’association Pleine Mer propose sur son site une carte interactive permettant de trouver la pêcherie la plus proche. Pour la Suisse, quatre adresses sont répertoriées : à Nyon, Lausanne, Clarens (VD) et près du lac de Bienne. Bien sûr, de nombreuses autres adresses existent.
Carte interactive : https://associationpleinemer.com/cartographie-des-circuits-courts-dans-la-peche/
Gaelle Balestra
Assistante de communication
Bibliographie
1Satista – La pression de la surpêche sur les stocks de poissons – 28 sept. 2023 // https://fr.statista.com/infographie/15054/evolution-etat-des-stocks-de-poissons-marins-dans-le-monde/
2Article du WWF – Projet Fish Forward 2015-2017 – Surpêche : les chiffres qui font Mal // https://www.fishforward.eu/fr/facts-figures/
3Article de GEO – Le Chiffre de GEO : 83 milliards de dollars par an de pertes économiques dues à la surpêche. 18 mars 2025 // https://www.geo.fr/environnement/le-chiffre-de-geo-83-milliards-de-dollars-par-an-de-pertes-economiques-dues-a-la-surpeche-225165
4Article de GEO – Claire Nouvian en guerre contre les pêches destructrices : « C’est un massacre d’environnements vulnérables » – 11 mai 2018 // https://www.geo.fr/animaux/video-c-est-un-massacre-d-environnements-vulnerables-la-gagnante-du-prix-goldman-evoque-ses-combats-contre-les-peches-destructrices-claire-nouvian-bloom-188540
528 minutes – ARTE – youtube – « La pêche au chalut est la méthode la plus destructrice de richesse publiques » // https://www.youtube.com/watch?v=ZRkFXyzcbds
6Ethic Ocean – La pêche électrique : interdictions et débats // https://www.ethic-ocean.org/article-peche-electrique/
7Wikipédia – Pêche à l’explosif // https://fr.wikipedia.org/wiki/P%C3%AAche_%C3%A0_l%27explosif
8MSC France – Que signifie le label MSC pêche durable ? // https://www.msc.org/fr/nos-actions/notre-approche/que-signifie-le-label-msc-peche-durable
9WWF – fiche du label ASC – Aquaculture Stewardship Council // https://www.wwf.ch/fr/guide-labels-alimentaires/asc-aquaculture-stewardship-council
10Site de ASC // https://asc-aqua.org/
11Ministère de l’agriculture et de la souveraineté – France – L’écolabel public « Pêche Durable » – 21 février 2020 // https://agriculture.gouv.fr/lecolabel-public-peche-durable
12Blog du site La Fourche – Tout savoir sur la pêche durable : labels, techniques et impact sur la biodiversité – 2 février 2024 // https://blog.lafourche.fr/peche-durable-labels-techniques-de-peche
13RTS – Reportage de l’émissions A bon entendeur – Le label MSC pour la pêche durable sous le feu des critiques – 2 avril 2025 // https://www.rts.ch/info/environnement/2025/article/label-msc-critique-peche-durable-ou-industrielle-controversee-28833545.html
14Bloom association – Notre programme « Labels », Faut-il se fier aux écolabels des produits de la mer pour consommer du poisson de manière responsable ? // https://bloomassociation.org/nos-actions/nos-actions/les-labels/
15Ifremer – Pêche _ les labels sont-ils satisfaisants ? – 11 février 2021 // https://www.ifremer.fr/fr/ressources/peche-les-labels-sont-ils-satisfaisants
Ressources pour aller plus loin
PDF – Fondation de la Mer – Vaincre la pêche illégale, une promesse pour nourrir le monde – 2024 // https://www.fondationdelamer.org/wp-content/uploads/2024/10/Livret-FDM-Peche-INN-Web-2024_10_27.pdf